Paroles de confinés
«Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera », croyait pouvoir prophétiser Alain Peyrefitte en 1973. En décembre 2019, la Chine a commencé à tousser, et dans les semaines qui ont suivi, le monde entier, sidéré, s’est figé dans l’effroi. On a tant glosé sur le caractère historique, inédit, inattendu, cataclysmique, ambivalent, inéquitable, irréversible, agonistique (ou guerrier), apocalyptique (ou non) de l’événement, qu’il est devenu bien difficile, dans ce flot de paroles, de trier le bon grain de l’ivraie. Il est certain, à tout le moins, que par-delà la dimension quasi-universelle du confinement imposé aux populations, chacun a vécu ce moment de manière tout à fait singulière. C’est sans doute la raison pour laquelle l’expérience du confinement a joué à chaque fois un rôle de miroir grossissant pour soi-même, et donc de révélation (c’est-à-dire, au sens strict, d’apocalypse).
Si nous avons choisi de revenir plus particulièrement sur la dimension religieuse et ecclésiale de l’épreuve du confinement, c’est d’abord que les Églises se sont trouvées, bien malgré elles, sur le devant de la scène, et parfois mises en cause, de Daegu à Mulhouse, pour avoir amplement contribué à la propagation du virus. (...) Mais parler des Églises et du confinement vaut surtout parce que l’épreuve a surtout été pour elles un pharmakos : tout à la fois poison et contre-poison. Frein à la rencontre, à la communion fraternelle, à l’administration des sacrements, à l’accompagnement des personnes en fin de vie et des endeuillés, à la dimension communautaire et festive du culte ; et en même temps opportunité, occasion favorable, mise en demeure d’innover, stimulation pour la créativité, expérimentation de nouvelles formes d’ecclésiologie, bref, un véritable kaïros. Il est des pasteurs qui ont téléphoné à chacun de la totalité de leurs paroissiens. L’absence physique du prochain a permis à certains de redécouvrir ce qu’était la Communion des saints, dont le Credo avait fait un article de foi, tout en le maintenant dans une certaine opacité. Les cultes à distance ont fleuri, sous des formes innovantes. (...)
Mais le déconfinement, lent, prudent, progressif, est aussi l’occasion de nouvelles expériences. Elles ne pourront pas ne pas tenir compte de ce qui a été vécu pendant huit à douze semaines. (...) On se souvient en effet qu’en grec classique, le vocable ἐκκλησία (ékklèsia) relevait du registre politique, et désignait l’appel lancé par voie de trompettes aux citoyens électeurs pour qu’ils sortent de chez eux et se rendent sur l’agora afin d’y voter les lois. (...) Aussi, par temps de confinement comme par temps de déconfinement (et peut-être, à l’avenir, de reconfinement), l’Église relaie l’appel lancé à tout un chacun à sortir de lui-même pour aller vers son Dieu et vers les autres. Et en cela, l’esprit d’innovation n’est pas une option mais une exigence permanente, notamment pour les Églises qui ont fait leur la formule du théologien calviniste hollandais Jodocus von Lodenstein (1620-1677) : « Ecclesia reformata semper reformanda » (Une Église réformée toujours à réformer).
Dans un premier article, Frédéric Rognon, sollicitant Bible et théologie, propose une méditation sur l’épreuve du confinement, sur la solitude et ses modalités, afin que la solitude déconfinée soit d’un autre ordre que la solitude préconfinée.
Frédéric de Coninck nous offre ensuite son carnet hebdomadaire rédigé au cours du confinement : à travers les thématiques de l’espérance, des paroles, du non-savoir, de la mort et de la résurrection, de la marche méditative, de la lecture et de l’écriture, du désert, et du retour à la forêt, il tisse en huit semaines le fil d’un cheminement qui revient à l’essentiel sans rechercher ni l’absolu ni le nécessaire.
Jean-Luc Mouton a interviewé quatre témoins de ce qui nous est arrivé : Olivier Abel voit dans la pandémie un moment de vérité qui nous invite à réhabiter autrement le monde ; Nadine Davous relève que cette épreuve nous a ramenés à notre vulnérabilité, mais nous a aussi inscrits dans un élan de solidarité ; Jean-Gustave Hentz attribue bien des dysfonctionnements de notre système de santé à son caractère technocratique et hypercentralisé ; Brice Deymié rend compte du double confinement des personnes incarcérées qui a pourtant apporté la preuve paradoxale qu’il est possible de s’attaquer à la surpopulation carcérale.
Pierre-Olivier Monteil analyse la pandémie comme un échec de la culture du flux qui s’est substituée à une culture du stock, en exagérant les vertus de la mobilité ; il nous encourage donc à sortir du déni pour oser réinventer l’espace.
Sous le titre : « L’Église au temps du confinement », nous vous offrons ensuite un échantillon de textes et de témoignages issus de milieux ecclésiaux des quatre coins de la planète : de la Chine à l’Italie, de Singapour aux États-Unis, de l’Allemagne à la Namibie, de Hong Kong à la Hongrie, et de l’Australie à la Grèce, sans oublier l’Église catholique et le monde orthodoxe, ce sont autant d’éclairages sur le vécu de la pandémie et du confinement dans la mosaïque des communautés chrétiennes.
Enfin, au terme de ce dossier thématique, le présent numéro de Foi&Vie présente deux varia (comme c’est désormais la norme) : un article de Gaudiose Vallière-Luhahe, Elisabetta Ribet et Frédéric Rognon, sur les Justes durant le génocide rwandais ; et la deuxième partie du texte (publié dans le numéro 2019/4) consacré aux Juifs de Hongrie, signé Jean de Saint Blanquat.
Bonne lecture à vous !
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