Islam et protestantisme: nos divergences et nos convergences
Pourquoi et comment parler de l’islam ?
Parler de l’islam c’est parler de nous, en tant que chrétien et en tant que citoyen.
En tant que chrétien, il existe pour nous un grand inconfort à voir la liberté religieuse attaquée. Elle se trouve attaquée lorsque les lois et le débat public ne font plus de la protection des minorités religieuses une priorité, et même transforment l’impératif de protection en stigmatisation. La liberté religieuse est attaquée lorsque chacun se trouve invité à laisser sa foi au vestiaire, accrochée à son porte-manteau lorsqu’il sort de chez lui. Notre expérience de la foi est une réalité qui travaille tout notre rapport au monde dans la profondeur d’un indicible. Il serait bien malaisé de la réduire une fois pour toutes à telle ou telle pratique, attitude, croyance. Notre vision plébiscite dès lors un ordre public basé sur la reconnaissance et la participation. Autrement dit, parler de l’islam c’est évidemment parler de nous, en tant que militants religieux dans un moment où la liberté religieuse est attaquée.
Parler de l’islam c’est aussi parler de nous en tant que citoyens. Il s’agit alors d’un dialogue intérieur, avec notre histoire et notre société. Dans le contexte postcolonial, nous sommes musulmans autant que catholiques, juifs, protestants, athées... Responsables à notre mesure de la France comme sujet historique, nous avons à chercher la paix en nous-mêmes. Cette recherche passe par l’affirmation de notre vivifiante complexité face à toutes les simplifications qui fixent et nécrosent. Elle appelle le dépassement de nos troubles par la paix qui seule édifie.
Dire que nous parlons de nous en parlant de l’islam revient à soutenir l’inexistence de l’islam comme réalité unique et immuable, et son existence en tant que multiplicité des subjectivités qui le constituent. Nul ne peut être compétent pour parler une fois pour toutes de l’islam et ouvrir le Coran ne suffit pas pour prendre la mesure de l’expérience musulmane. Ainsi, ne pas parler de l’islam, ou au contraire en parler de manière hystérique sont des attitudes symétriques d’occultation. Elles se rejoignent dans la négation de l’altérité diverse contenue dans la densité des expériences, des croyances, des pratiques qui se rattachent à la religion musulmane.
Dire que nous parlons de nous lorsque l’on parle de l’islam ne doit pas apparaître comme une marque d’égocentrisme. Cela ne revient pas à se faire plus intelligent que d’autres, mais à reconnaître a priori l’altérité comme ce qui nous constitue. C’est permettre un discours qui ne nous réduise pas en renvoyant l’autre à un néant existentiel et symbolique. C’est se dire concerné.
À partir de là, notre compassion va toute entière aux personnes maltraitées pour leur lien avec l’islam. Elle va toute entière dans le même élan aux personnes maltraitées au nom de l’islam. Car ces deux phénomènes traduisent le même mouvement de stigmatisation et de réduction. Nous voulons donc parler pour lutter avec tous nos moyens pour un dialogue fraternel, source de reconnaissance et de paix. Cette lutte est théologique, elle se conduit dans nos églises, dans nos temples comme dans nos mosquées. Cette lutte est politique et sociale, elle se construit contre l’islamophobie, le racisme et la xénophobie, dans le dynamitage des stigmates. Parler de l’islam ce n’est donc ni parler de coupables ni parler de victimes, c’est parler de nous, de notre jeunesse et de notre espérance.
C’est dans cet esprit général que Philippe Wender, vice-président du mouvement du Christianisme social a réuni les contributions qui composent ce numéro avec la précieuse collaboration d’Olivier Abel. Je les remercie ici chaleureusement, ainsi que tous les auteurs.
(Liminaire de Mathieu Gervais, président du mouvement du Christianisme social)
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