Littérature et culture biblique
Ce numéro est comme un feu d’artifice des thèmes chers à notre revue et à ses lecteurs, et les plus actuels. La littérature, la littérature et la Bible, la théologie protestante de la Parole et l’image, la pensée juive, notre société et le rôle de la Technique.
Littérature. L’œuvre de l’américaine Marilynne Robinson est caractéristique de la littérature « protestante » entendons par là, sur le plan sociologique, de celle qui est produite par des auteurs de culture religieuse protestante, comme on peut le dire de celle d’un André Gide, tout incroyant qu’il fût. Mais surtout protestante sur le plan littéraire en ce sens qu’elle met en scène des pasteurs, et qu’elle exploite le « code » des récits et des paraboles bibliques pour interroger le phénomène humain sur le plan moral, social et spirituel le plus souvent en dehors de toute foi dogmatiquement définie. On en a un bel exemple dans la présentation que donne Dominique Gounelle du dyptique de la romancière et essayiste américaine Marilynne Robinson, Gilead et Chez Nous, qui a été traduit en français. (...) Dans la littérature « catholique », le rapport des personnages à l’Église (à la fois corps mystique et autorité de l’institution romaine) est le plus souvent la question cruciale. Dans la littérature « protestante », la mise en scène de pasteurs, plus ou moins ironique ou affectueuse, sert à introduire des échos de leurs sermons (et ainsi que de leurs rapports et de ceux des autres personnages au contenu de ces sermons), et à travers cette parole humaine, à remettre en jeu la « littérature » biblique.
On peut s’en convaincre en lisant également l’interview de Marilynne Robinson que nous avons la chance de publier ici, ainsi que l’article de Michel Leplay sur Adam et Ève de Ramuz. La première se réclame de la foi réformée moderne la plus classique (y compris de Jean Calvin), et elle explique notamment ce qu’elle trouve d’intéressant dans l’écoute de la prédication et la lecture de la théologie ; le second auteur, d’origine vaudoise et réformée, était détaché de toute foi religieuse, mais il exploite le grand récit du début de la Genèse pour inventer les situations inédites de ses créatures romanesques.
Littérature biblique : si la Bible, qui contient la Parole de Dieu, est aussi de la « littérature » (notion moderne), les livres deutérocanoniques – ceux qui font partie de l‘environnement de nos Bibles sans appartenir à son « canon » – le sont a fortiori. « Paralittérature » de la Parole révélée, a-t-on envie de dire. Le critère théologique ou ecclésial du canon (quels sont les livres qui font partie de la Bible de manière authentique ?) a trouvé, dans le protestantisme, on le sait, des réponses un peu différentes, mais pas contradictoires, selon que l’on met en avant – comme Luther – le critère de Jésus-Christ, ou, comme Calvin, celui du témoignage intérieur du Saint-Esprit dans le cœur des fidèles. (...) Les livres dits deutérocanoniques, admis jusqu’au XIXe siècle dans les bibles protestantes, mais à titre d’appendice ou de transition historico-littéraire entre Ancien et Nouveau Testaments, pouvaient y figurer comme livres utiles, édifiants, instructifs, mais sans autorité pour la confession de la foi et la théologie. Leur retour dans la nouvelle Traduction œcuménique de la Bible donne lieu à un exposé de Rémi Gounelle qui donne à réfléchir en cette période œcuménique du mois de janvier, tant les « variations » (pour employer une expression du Bossuet controversiste) historiques et ecclésiales du canon, d’une époque à l’autre, d’une Église à l’autre, soulignent la porosité des frontières entre révélation biblique et (ré-)écriture humaine, autorité de la Parole divine et textes religieux, canon ecclésial et édification. (...)
(Extrait du Liminaire d'Olivier Millet)
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